Ithaca, État de New York : une petite ville paisible sur laquelle plane l'ombre d'un serial killer. Mais malgré la paranoïa ambiante, certains jeunes ont encore la naïveté de croire au grand amour : Fox est raide dingue de Mia. Il a économisé tout l'été pour lui offrir LA bague de ses rêves, à 384,50 dollars. Et c'est bien sûr le jour où il prend l'argent sur lui qu'il se fait dépouiller. Le très impopulaire Arnie Spencer entre alors en scène et lui suggère de cambrioler la villa de son père durant le week-end.

Cliff et Fox forment un duo inséparable et très attachant. Pouvez-vous nous présenter rapidement ces deux héros ?

En vérité, on ne peut faire plus dissemblables. Fox est un garçon assez banal, sans aucun signe distinctif. Il passe son temps à tenter de "s'effacer" pour ressembler à tout le monde, et c'est cette forme d'humilité qui le rend, paradoxalement, si particulier. Cliff, lui, est tout l'inverse : cadet de cinq frères, il est fort en gueule et veut être vu et entendu pour exister en tant qu'individu au sein de sa famille. Curieusement, ces deux-là sont cul et chemise alors qu'ils devraient au contraire s'ignorer. Moi-même, quand j'étais gamin, j'avais un ami qui était mon exact opposé. Mais malgré nos différences, on était tout le temps ensemble et on passait notre temps à délirer. C'est ce qui me donne encore un peu d'espoir dans ce monde sinistré : savoir qu'on peut continuer à apprécier et respecter l'autre malgré les différences de point de vue et/ou de culture.

Qu'est-ce qui fascine autant chez ce fameux Arnie Spencer dont le prénom donne son titre à votre livre ?

Ah, ce cher Arnie... Personnage énigmatique que ce jeune homme solitaire, prisonnier de son image de "gosse de riche". On dit que l'argent ne fait pas le bonheur et je demeure intimement persuadé que c'est vrai, n'en déplaise à cette société qui nous pousse perpétuellement à la course à la réussite. Car une fois que l'on a obtenu tout ce qu'il est possible d'avoir, qu'est-ce que le monde matériel peut nous offrir de plus ? Rien que le vide et l'ennui. C'est dans cet état d'esprit que se trouve Arnie au moment où l'on fait sa connaissance : il est seul et il s'ennuie, condamné à observer depuis sa cage dorée ce monde qui le rejette, malgré son désir désespéré de nouer des liens avec les autres comme un adolescent normal. Conséquence, il en veut à un père trop absent, accaparé par son métier, entre autre, et c'est ce qui va le pousser à faire un pas vers Fox et Cliff. Pour le meilleur... ou pour le pire.

Mon ami Arnie est un roman extrêmement original, dans lequel se mêlent une histoire d'amour, un cambriolage plus qu'amateur et la menace d'un serial killer sanguinaire. Comment réalise-t-on un tel cocktail d'horreur, de suspense et de légèreté ?

J'ai pris énormément de plaisir à créer cette histoire, que j'ai conçue comme un puzzle mental dont les pièces s'assemblent au fur et à mesure d'une narration éclatée pour former un tout où chaque personnage, même secondaire, a un rôle à jouer. Quand j'étais plus jeune (on y revient), j'ai beaucoup lu la collection des Livres dont vous êtes le héros, où le lecteur prend la place du personnage principal et se retrouve face à des choix cornéliens qui peuvent le conduire vers la victoire... ou le trépas. Mon histoire fonctionne exactement de cette façon. Chaque chapitre nous fait entrer dans la tête de l'un des protagonistes (tueur ou pas, je vous laisse le soin de le découvrir), et nous vivons littéralement le récit avec lui, où qu'il nous mène. Quant au style, il s'est imposé à moi. Aujourd'hui, je pense que les adolescents sont capables de lire et d'entendre des choses d'une violence inouïe, via les médias auxquelles ils sont tout naturellement exposés. Moi-même, j'appartiens à cette nouvelle génération et il m'a fallu prendre du recul pour arriver à tout encaisser. Le roman montre des faits brutaux, d'une cruauté inexcusable, mais raconté avec le recul nécessaire et joyeux qui permet de préserver l'humanité des personnages. Car après tout, nous ne faisons que passer ici-bas, alors ne prenons pas ce monde trop au sérieux !

Votre roman fait beaucoup penser à la série de films d'horreur Scream, dans son ton décalé et très référentiel. Mais en même temps, il prête à une réflexion profonde, n'est-ce pas ?

Déjà, merci pour la comparaison avec Scream, j'avais justement vu le tout premier au cinéma, à l'âge de Fox et de Cliff. Le ton léger et burlesque, oui, je le revendique, pour les raisons évoquées précédemment. Mais résumer le roman à ces deux adjectifs serait réducteur. Dans Mon ami Arnie, nous plongeons lentement, principalement à travers les personnages de Fox et Cliff, dans le cynisme implacable du monde adulte. Nos deux héros possèdent une fraîcheur et une naïveté désarmante face à ce qui va leur tomber dessus lors de leur "quête de la bague". Au premier abord, ils peuvent paraître totalement inconscients. C'est faux, évidemment. Pour moi, cette naïveté est même une qualité dans ce monde qui, malheureusement, ne croit plus en rien et surtout pas dans la force de l'imaginaire. Cliff et Fox sont constamment en train de jouer... ils jouent précisément pour tenter d'échapper à ce moment inéluctable où ils basculeront dans le "monde des grands" (ce qui adviendra lors d'un final que je me garderai bien d'évoquer ici). Je pense qu'on peut tous conserver cette part d'enfance si précieuse en chacun de nous, une fois adultes. Aujourd'hui, c'est essentiel pour arriver à survivre. Et au fond, c'est de cela, et de rien d'autre, que parle cette histoire.

(Interview réalisée en 2016 pour Syros à l'occasion de la sortie du livre.)